PROFIL : Warren Sutton, figure pionnière du basketball féminin
L'équipe de basketball féminin de l'Université d'Ottawa a foulé le terrain pour la toute première fois en 1970 – une équipe gagnante qui, grâce à l'entraîneur-chef Warren Sutton, a su s'imposer d'entrée de jeu.
L'entraîneur Sutton s'est battu pour que ses Gee-Gees aient les mêmes chances que les équipes masculines de profiter des installations sportives et d'obtenir des chaussures Converse de qualité, tandis que ces joueuses ouvraient la voie à une nouvelle ère du sport interuniversitaire chez nous. Il a recruté une pointeuse étoile qui, plus tard, participerait aux Jeux olympiques et serait admise au Temple de la renommée du basketball au Canada. Ses équipières ont adoré jouer ensemble. Cinquante ans plus tard, l'heure est venue de mettre en lumière les contributions de M. Sutton en tant que pionnier du basketball féminin à l'Université d'Ottawa.
En 1970, la réputation de Warren Sutton n'était plus à faire. Il était surtout connu à Ottawa pour ses prouesses sur le terrain contre les Gee-Gees et les Ravens pendant ses années dans l'uniforme aux couleurs de l'Université Sir George Williams. Sa performance aux championnats nationaux de 1964 lui a valu le titre de joueur le plus utile, et il a été le tout premier athlète d'une université canadienne à être repêché par la NBA.
Après ses études universitaires et ses essais de sélection auprès des Hawks de St. Louis, M. Sutton a fait son entrée au Bureau fédéral de la statistique (BFS, aujourd'hui Statistique Canada) à Ottawa. Il y a travaillé comme analyste des systèmes et programmeur sur certains des ordinateurs les plus puissants en ville, travail qui l'a d'ailleurs mené sur notre campus.
« L'Université possédait l'un des meilleurs ordinateurs de la région, un IBM 360 », explique-t-il par téléphone depuis sa résidence de Kitchener, en Ontario. « Statistique Canada n'y avait pas pleinement accès pour exécuter ses programmes, alors on m'a donné un bureau sur le campus pour accélérer les choses. Ainsi, on n'avait plus à attendre au lendemain : ce n'était qu'une question d'heures. Quand un poste s'est ouvert à l'Université, on m'a embauché. »
Après neuf ans à Ottawa, M. Sutton et sa femme ont déménagé à Kitchener-Waterloo, où il a travaillé au Collège Conestoga, puis à la Ville de Kitchener pendant 23 ans. Il a pris sa retraite en 2004. « La retraite me sied très bien, mais j'ai toujours aimé travailler. Tout était nouveau et particulièrement stimulant quand j'ai commencé, mais je ne me suis jamais désintéressé de ce que je faisais. »
D'où il demeure, il peut cultiver ses contacts avec les Gee-Gees lorsque l'équipe est de passage dans la région. Il assiste régulièrement aux parties disputées à l'Université de Guelph, à Université Laurier et à l'Université de Waterloo, où il a d'ailleurs été entraîneur-chef en 1986-1987. « Je m'assois derrière le banc de Waterloo pour la première demie, puis derrière celui d'Ottawa pour la deuxième », explique-t-il en riant.
« Je suis simplement un grand amateur de basketball, et j'ai à cœur d'encourager les équipes féminines. Habituellement, Andy [Sparks] m'invite dans le vestiaire et me présente comme étant "le fossile". J'ai donc encore quelques liens avec l'équipe, et je suis très content qu'elle connaisse de si bons résultats. Les parties universitaires me manquent, cette année. »
Un fossile, ça, Warren Sutton est loin de l'être. Il se rappelle fort bien les équipes qu'il a formées au tout début de l'aventure, et sa voix s'emballe lorsqu'il évoque certains détails et les personnalités des joueuses. « Toutes sortes de petites choses amusantes », rigole-t-il en partageant généreusement ses anecdotes.
Alors qu'il travaillait au BFS en 1967, il s'est joint comme joueur et entraîneur à la ligue séniore masculine d'Ottawa, renforçant encore sa présence au sein de la communauté du basketball. Il jouerait bientôt un rôle névralgique dans le développement du sport chez les femmes dans la capitale.
« Les écoles secondaires avaient des équipes de basketball féminin, mais il n'y avait pas de compétition en ville. La plupart des joueuses étaient en fait des hockeyeuses qui se ralliaient à la ligue de basketball entre deux saisons sur la glace. »
Warren Sutton a mis sur pied l'équipe féminine Champagne Electras en 1968, qualifié les Reivers d'Ottawa pour le championnat national, entraîné la première équipe des Rookies d'Ottawa et créé une ligue d'été au Centre communautaire McNabb. Amateur d'albums-souvenirs, il aime revenir aux coupures de journaux qu'il a conservées à propos de ses équipes. Il évoque une partie de championnat pendant laquelle il entraînait les deux équipes qui s'affrontaient.
« Je crois qu'à l'époque, les gens faisaient une place au sport féminin, mais le voyaient comme un événement social et non compétitif. Du début au milieu des années 1970, les mentalités ont commencé à changer. Certaines joueuses étaient des athlètes exceptionnelles; elles avaient envie d'apprendre, et soif de compétition. »
« Les gens étaient au rendez-vous, mais les occasions manquaient. » M. Sutton croit fermement que la compétition, les matchs et le perfectionnement du jeu ont contribué à populariser le sport. « Je n'étais pas un grand motivateur, mais je leur ai montré la base. Et elles y ont été réceptives. »
Pendant ce temps, sur le campus de l'Université d'Ottawa, la directrice du sport féminin Sue Cousineau s'apprêtait à mettre sur pied des équipes de compétition interuniversitaire. Marilyn Yeates, qui avait fait partie de l'équipe de Warren Sutton pendant quelques années, avait demandé à jouer pour l'Université. Il n'y avait pas encore d'équipe en place, mais la joueuse et la directrice se sont rencontrées au bon moment.
La première partie de basketball féminin des Gee-Gees a eu lieu le 3 novembre 1970 : Ottawa a défait Carleton par un score de 44 à 27, et avec ses 16 points, Marilyn Yeates a enregistré le plus haut pointage de la rencontre. Le Gris et Grenat a également disputé deux matchs contre l'Université Queen's à sa première saison. Devant le manque de parties intercollégiales, Warren Sutton avait aussi inscrit l'équipe à la ligue de basketball féminin d'Ottawa. Ses joueuses ont raflé le titre municipal, remportant le championnat en deux parties contre les Reivers... de M. Sutton.
En 1971-1972, les Gee-Gees ont rejoint l'Association sportive intercollégiale des femmes de l'Ontario et joué une pleine saison interuniversitaire. L'entraîneur a mené son équipe à une fiche record de 9-1, ex æquo en première place de la Division Est avec 614 points marqués contre 376 points accordés, le meilleur résultat de la ligue. En 1972-1973, Warren Sutton s'est joint au personnel de l'équipe masculine des Gee-Gees à titre d'adjoint, mais était de retour aux commandes du programme féminin l'année suivante, classant son équipe parmi les quatre finalistes de la conférence.
« Ma philosophie a toujours été d'enseigner les rudiments du jeu et d'amener les gens à jouer ensemble. Les athlètes y croyaient, travaillaient dur et y mettaient du cœur. Et la formule marchait. Je n'ai jamais insisté sur les victoires ou les défaites. Je me disais que si j'enseignais ce qu'il fallait et que j'amenais les gens à jouer ensemble, la victoire suivrait d'elle-même. »
« Je n'ai jamais senti de vraie friction entre mes joueuses, et je crois que ça aussi a beaucoup contribué à leur réussite. Elles s'entendaient toutes bien. C'est d'ailleurs toujours le cas aujourd'hui! »
Lorsqu'il a été intronisé au Temple de la renommée du basketball féminin des Gee-Gees en 2010, huit membres de ses équipes sont venues célébrer avec lui. Elles y ont constaté à quel point elles se sentent toujours aussi proches les unes des autres.
« On était une équipe, » soulignait Maureen Stark dans une lettre évoquant l'événement, qui a d'ailleurs profondément ému l'entraîneur. « On adorait être ensemble. On n'en parlait pas, on n'y pensait pas, mais c'était vrai pour tout le monde. L'admiration, l'enthousiasme, les joies immenses, la détermination, la compassion, les vulnérabilités, l'innocence et la gratitude sans borne d'antan – tout nous est revenu quand on s'est retrouvées ensemble. »
Combinant les rôles d'entraîneur et d'arbitre, Warren Sutton est demeuré une constante dans l'écosystème du basketball jusqu'à il y a quatre ou cinq ans; il entraînait alors une équipe dans la ligue féminine de sa région, équipe dont faisait d'ailleurs partie une de ses anciennes joueuses de l'Université d'Ottawa, Loretta Ann (Dooher) Madison.
« Son équipe n'était pas très bonne, se souvient-il en riant. Elle n'arrivait pas à croire que je sois revenu après le premier match. » L'entraîneur a remonté l'équipe, qui a ensuite connu une série de cinq victoires consécutives. Sa philosophie du travail d'équipe et du retour à l'essentiel a encore une fois fonctionné, et le plaisir de jouer au basketball a pris le dessus.
« C'est tellement satisfaisant d'assister à l'évolution du jeu et des joueuses au fil des ans. »
Son point de vue est particulièrement désarmant, compte tenu de ce qu'il a lui-même dû surmonter. En février 1960, des policiers l'ont escorté vers la sortie d'un cinéma de New York. Le trésorier de l'Université d'Alfred avait contacté les forces de l'ordre parce que Warren Sutton, qui venait de connaître trois saisons exemplaires sur le terrain, fréquentait sa fille [blanche] sans sa permission. À 20 ans, le joueur s'est ainsi trouvé à la croisée des chemins.
Grâce aux contacts d'un entraîneur de New York, il a été recruté par l'Université Acadia et fait route vers le nord pour rejoindre Wolfville, en Nouvelle-Écosse, où de nouvelles possibilités s'offraient à lui. « Mon expérience à l'Université Acadia et au Canada, généralement, aura été de me sentir accepté pour qui je suis en tant que personne. Je sais que le Canada aussi est aux prises avec un problème racial, mais la majorité des gens font en sorte que l'environnement et la culture y sont bien mieux [qu'aux États-Unis, ndlt]. »
M. Sutton demeure au Canada depuis 1960, mais il conserve d'excellents souvenirs de ses années à New York et à l'Université d'Alfred, qui lui a décerné un grade honoris causa en 2017.
« À mes yeux, une personne est une personne – pas une couleur, pas une race. Beaucoup de gens voient les choses autrement. Ils remarquent les différences plutôt que ce qui nous unit », soulignait-il dans un autre entretien.
Après avoir connu la discrimination, il a cherché, dans sa nouvelle vie au Canada, à ouvrir des portes pour les autres. Il a largement contribué à l'essor du basketball féminin à Ottawa, formé des équipes gagnantes et unies, et créé des amitiés pour la vie.
« On doit partir à la conquête de ses propres objectifs », affirmait-il en entrevue avec l'Université Acadia. « Il ne faut pas se laisser influencer par ses pairs ou par ce que disent les autres. Parfois, on doit aller à contre-courant et respecter ses convictions. Que ce soit dans ses relations ou en affaire, peu importe – il faut savoir prendre l'initiative. »
De vraies paroles de pionnier.
Warren Sutton en quelques dates
1939 – Naissance à Chester, en Pennsylvanie
1956-1957 – Championnat de Pennsylvanie; co-capitaine de l'équipe de Chester High School
1957 – L'un de cinq étudiants noirs à l'Université d'Alfred (New York), programme de chimie-biologie
1957 et 1958 – Mention honorable dans la division 3 de la NCAA en basketball aux États-Unis
1960 – Escorté hors d'un cinéma par la police de New York; sa compagne est arrêtée
1960-1961 – Joueur des Axemen de l'Université Acadia (équipe championne, Maritimes)
1963-1964 – Membre de l'équipe de l'Université Sir George Williams, nommé joueur le plus utile lors du championnat national
1964 – Repêché par St. Louis, 94e choix au repêchage de la NBA
1967 – Abolition des lois interdisant les mariages interraciaux par la Cour suprême des États-Unis
1970-1971 – Formation de la première équipe de basketball féminin des Gee-Gees
1986 – Intronisé au Temple de la renommée de l'Université d'Alfred
2004 – Retraite à titre d'analyste de systèmes
2010 – Intronisé au Temple de la renommée du basketball féminin des Gee-Gees
2012 – Intronisé au Temple de la renommée sportive de l'Université Acadia
2013 – Intronisé au Temple de la renommée sportive de la Pennsylvanie, section du comté de Delaware
2017 – Reçoit des excuses officielles et un doctorat ès lettres honoris causa de l'Université d'Alfred